Baise m'encor Ode à Cassandre Villanelle A Laure Chanson d'après-midi L'extase Ophélie Le désir A celle que j'aime Vous m'avez dit |
PastourellePar amour je suis gai, Et tant que je vivrai, Ne me dédirai, Dame Joli-Corps Me levai un beau matin, A pointe d'aubette, Je m'en fus dans un verger Cueillir la violette. De loin j'entendis Un chant bien plaisant, Trouvai jolie pastourelle Ses agneaux gardant. Dieu vous garde, pastourelle, Couleur de rosette, De vous je m'étonne fort Que vous soyez seullette. Habits vous aurez, Si cela vous plaît, Bien menu lacé A filets d'argent. Seriez vous fol, chevalier, Plein d'extravagance Car vous m'avez demandé Ce dont je n'ai cure, Père et mère j'ai Et mari j'aurai, Et si à Dieu plaît, M'honoreront bien. Adieu, adieu, chevalier, Mon père m'appelle, Je le vois là qui laboure A bouefs sur l'artigue, Nous esmons blé, Aurons grand' récolte, Et si acceptez, Froment vous aurez. Mais quand il la vit aller, Courut après elle, La prit par sa blanche main, La coucha dans l'herbe, Trois fois la baisa Sans qu'elle dît mot, Mais quand vint la quatrième : "Seigneur, à vous je me rends !"Troubadour anonyme ![]() Baise m'encorBaise m'encor, rebaise-moi et baise; Donne m'en un de tes plus savoureux, Donne m'en un de tes plus amoureux: Je t'en rendrai quatre plus chauds que braise. Las ! te plains-tu ? Çà, que ce mal j'apaise, En t'en donnant dix autres doucereux. Ainsi, mêlant nos baisers tant heureux, Jouissons-nous l'un de l'autre à notre aise. Lors double vie à chacun en suivra. Chacun en soi et son ami vivra. Permets m'Amour penser quelque folie: Toujours suis mal, vivant discrètement, Et ne me puis donner contentement Si hors de moi ne fais quelque saillie.Louise Labé (1524 - 1566) ![]() Ode à CassandreEn vous donnant ce pourtraict mien Dame, je ne vous donne rien Car tout le bien qui estoit nostre Amour dès le jour le fit vostre Que vous me fistes prisonnier, Mais tout ainsi qu'un jardinier Envoye des presens au maistre De son jardin loüé, pour estre Toujours la grace desservant De l'heritier, qu'il va servant Ainsi tous mes presens j'adresse A vous Cassandre ma maistresse, Corne à mon tout, et maintenant Mon portrait je vous vois donnant: Car la chose est bien raisonnable Que la peinture ressemblable, Au cors qui languist en souci Pour vostre amour, soit vostre aussi. Mais voyez come elle me semble Pensive, triste et pasle ensemble, Portraite de mesme couleur Qu'amour a portrait son seigneur. Que pleust à Dieu que la Nature M'eust fait au coeur une ouverture, Afin que vous eussiez pouvoir De me cognoistre et de me voir ! Car ce n'est rien de voir, Maistresse, La face qui est tromperesse, Et le front bien souvent moqueur, C'est le tout que de voir le coeur. Vous voyriés du mien la constance, La foi, l'amour, l'obeissance, Et les voyant, peut estre aussi Qu'auriés de lui quelque merci, Et des angoisses qu'il endure : Voire quand vous seriés plus dure Que les rochers Caucaseans Ou les cruels flos Aegeans Qui sourds n'entendent les prieres Des pauvres barques marinieres.Pierre de Ronsard (1524 - 1585) ![]() VillanelleRozette, pour un peu d'absence Vostre coeur vous avez changé, Et moy, scachant cette inconstance, Le mien autre part j'ay rangé: Jamais plus, beauté si legere Sur moy tant de pouvoir n'aura: Nous verrons, volage bergere, Qui premier s'en repentira. Tandis qu'en pleurs je me consume, Maudissant cet esloignement, Vous, qui n'aimez que par coustume, Caressiez un nouvel amant. Jamais legere girouëtte Au vent si tost ne se vira: Nous verrons, bergere Rozette, Qui premier s'en repentira. Où sont tant de promesses saintes, Tant de pleurs versez en partant? Est il vray que ces tristes plaintes Sortissent d'un coeur inconstant? Dieux! que vous estes mensongere! Maudit soit qui plus vous croira! Nous verrons, volage bergere, Qui premier s'en repentira. Celuy qui a gaigné ma place Ne vous peut aymer tant que moy, Et celle que j'aime vous passe De beauté, d'amour et de foy. Gardez bien vostre amitié neufve, La mienne plus ne varira, Et puis, nous verrons à l'espreuve Qui premier s'en repentira.Philippe Desportes (1546 - 1606) ![]() A LaureSi tu ne m'aimais pas, dis-moi, fille insensée, Que balbutiais-tu dans ces fatales nuits? Exerçais-tu ta langue à railler ta pensée? Que voulaient donc ces pleurs, cette gorge oppressée, Ces sanglots et ces cris? Ah! si le plaisir seul t'arrachait ces tendresses, Si ce n'était que lui qu'en triste moment Sur mes lèvres en feu tu couvrais de caresses Comme un unique amant; Si l'esprit et les sens, les baisers et les larmes, Se tiennent par la main de ta bouche à ton coeur, Et s'il te faut ainsi, pour y trouver des charmes, Sur l'autel du plaisir profaner le bonheur: Ah! Laurette! ah! Laurette, idole de ma vie, Si le sombre démon de tes nuits d'insomnie Sans ce masque de feu ne saurait faire un pas, Pourquoi l'évoquais-tu, si tu ne m'aimais pas?Alfred de Musset (1810 - 1857) ![]() Chanson d'après-midiChanson d'après-midi Quoique tes sourcils méchants Te donnent un air étrange Qui n'est pas celui d'un ange, Sorcière aux yeux alléchants, Je t'adore, ô ma frivole, Ma terrible passion ! Avec la dévotion Du prêtre pour son idole. Le désert et la forêt Embaument tes tresses rudes, Ta tête a les attitudes De l'énigme et du secret. Sur ta chair le parfum rôde Comme autour d'un encensoir ; Tu charmes comme le soir, Nymphe ténébreuse et chaude. Ah ! les philtres les plus forts Ne valent pas ta paresse, Et tu connais la caresse Qui fait revivre les morts ! Tes hanches sont amoureuses De ton dos et de tes seins, Et tu ravis les coussins Par tes poses langoureuses. Quelquefois, pour apaiser Ta rage mystérieuse, Tu prodigues, sérieuse, La morsure et le baiser ; Tu me déchires, ma brune, Avec un rire moqueur, Et puis tu mets sur mon coeur Ton oeil doux comme la lune. Sous tes souliers de satin, Sous tes charmants pieds de soie, Moi, je mets ma grande joie, Mon génie et mon destin, Mon âme par toi guérie, Par toi, lumière et couleur ! Explosion de chaleur Dans ma noire Sibérie !Charles Baudelaire (1821-1867) ![]() L'extaseLa nuit était venue, la lune émergeait de l'horizon, étalant sur le pavé bleu du ciel sa robe couleur soufre. J'étais assis près de ma bien-aimée, oh ! bien près ! Je serrais ses mains, j'aspirais la tiède senteur de son cou, le souffle enivrant de sa bouche, je me serrais contre son épaule, j'avais envie de pleurer ; l'extase me tenait palpitant, éperdu, mon âme volait à tire d'aile sur la mer de l'infini. Tout à coup elle se leva, dégagea sa main, disparut dans la charmoie, et j'entendis comme un crépitement de pluie dans la feuillée. Le rêve délicieux s'évanouit... ; je retombais sur la terre, sur l'ignoble terre. O mon Dieu ! c'était donc vrai, elle, la divine aimée, elle était, comme les autres, l'esclave de vulgaires besoins !Joris-Karl Huysmans (1848-1907) ![]() OphélieI Sur l'onde calme et noire où dorment les étoiles La blanche Ophélia flotte comme un grand lys, Flotte très lentement, couchée en ses longs voiles... - On entend dans les bois lointains des hallalis. Voici plus de mille ans que la triste Ophélie Passe, fantôme blanc, sur le long fleuve noir. Voici plus de mille ans que sa douce folie Murmure sa romance à la brise du soir. Le vent baise ses seins et déploie en corolle Ses grands voiles bercés mollement par les eaux; Les saules frissonnants pleurent sur son épaule, Sur son grand front rêveur s'inclinent les roseaux. Les nénuphars froissés soupirent autour d'elle; Elle éveille parfois, dans un aune qui dort, Quelque nid, d'où s'échappe un petit frisson d'aile: - Un chant mystérieux tombe des astres d'or. II Ô pâle Ophélia ! belle comme la neige ! Oui tu mourus, enfant, par un fleuve emporté ! - C'est que les vents tombant des grands monts de Norwège T'avaient parlé tout bas de l'âpre liberté; C'est qu'un souffle, tordant ta grande chevelure, A ton esprit rêveur portait d'étranges bruits; Que ton coeur écoutait le chant de la Nature Dans les plaintes de l'arbre et les soupirs des nuits; C'est que la voix des mers folles, immense râle, Brisait ton sein d'enfant, trop humain et trop doux; C'est qu'un matin d'avril, un beau cavalier pâle, Un pauvre fou, s'assit muet à tes genoux ! Ciel ! Amour ! Liberté ! Quel rêve, ô pauvre Folle ! Tu te fondais à lui comme une neige au feu: Tes grandes visions étranglaient ta parole - Et l'Infini terrible effara ton oeil bleu ! III - Et le Poète dit qu'aux rayons des étoiles Tu viens chercher, la nuit, les fleurs que tu cueillis; Et qu'il a vu sur l'eau, couchée en ses longs voiles, La blanche Ophélia flotter, comme un grand lys.Arthur Rimbaud (1854 - 1891) ![]() Le désirJe sais la vanité de tout désir profane. A peine gardons-nous de tes amours défunts, Femme, ce que la fleur qui sur ton sein se fane Y laisse d'âme et de parfums. Ils n'ont, les plus beaux bras, que des chaînes d'argile, Indolentes autour du col le plus aimé; Avant d'être rompu leur doux cercle fragile Ne s'était pas même fermé. Mélancolique nuit des chevelures sombres, A quoi bon s'attarder dans ton enivrement, Si, comme dans la mort, nul ne peut sous tes ombres Se plonger éternellement ? Narines qui gonflez vos ailes de colombe, Avec les longs dédains d'une belle fierté, Pour la dernière fois, à l'odeur de la tombe, Vous aurez déjà palpité. Lèvres, vivantes fleurs, nobles roses sanglantes, Vous épanouissant lorsque nous vous baisons, Quelques feux de cristal en quelques nuits brûlantes Sèchent vos brèves floraisons. Où tend le vain effort de deux bouches unies ? Le plus long des baisers trompe notre dessein; Et comment appuyer nos langueurs infinies Sur la fragilité d'un sein ?Anatole France (1844 - 1924) ![]() A celle que j'aimeDans ta mémoire immortelle, Comme dans le reposoir D'une divine chapelle, Pour celui qui t'est fidèle, Garde l'amour et l'espoir. Garde l'amour qui m'enivre, L'amour qui nous fait rêver; Garde l'espoir qui fait vivre; Garde la foi qui délivre, La foi qui nous doit sauver. L'espoir, c'est de la lumière, L'amour, c'est une liqueur, Et la foi, c'est la prière. Mets ces trésors, ma très chère, Au plus profond de ton coeur.Nérée Beauchemin (1850 - 1931) ![]() Vous m'avez ditVous m'avez dit, tel soir, des paroles si belles Que sans doute les fleurs, qui se penchaient vers nous, Soudain nous ont aimés et que l'une d'entre elles, Pour nous toucher tous deux, tomba sur nos genoux. Vous me parliez des temps prochains où nos années, Comme des fruits trop mûrs, se laisseraient cueillir; Comment éclaterait le glas des destinées, Comment on s'aimerait, en se sentant vieillir. Votre voix m'enlaçait comme une chère étreinte, Et votre coeur brûlait si tranquillement beau Qu'en ce moment, j'aurais pu voir s'ouvrir sans crainte Les tortueux chemins qui vont vers le tombeau. ![]() |