En 1545 , alors qu'il a vingt ans , Ronsard rencontre
une jeune fille de treize ans, Cassandre Salviati.
Elle va devenir l'amour 'inaccessible' car elle
se marie l'année suivante avec le seigneur de Pré.
Elle sera à Ronsard, ce que Beatrice a été à Dante
et Laure à Pétrarque. Cassandre va lui permettre
de célébrer l'amour platonique.
Une beauté de quinze ans enfantineUne beauté de quinze ans enfantine, Un or frisé de maint crêpe annelet, Un front de rose, un teint damoiselet, Un ris qui l’âme aux Astres achemine ; Une vertu de telle beauté digne, Un col de neige, une gorge de lait, Un cœur jà mûr en un sein verdelet, En Dame humaine une beauté divine ; Un œil puissant de faire jours les nuits, Une main douce à forcer les ennuis, Qui tient ma vie en ses doigts enfermée ; Avec un chant découpé doucement Or’ d’un souris, or’ d’un gémissement, De tels sorciers ma raison fut charmée.Les Amours de Cassandre (1552) Je voudrais bien richement jaunissantJe voudrais bien richement jaunissant En pluie d’or goutte à goutte descendre Dans le giron de ma belle Cassandre, Lorsqu’en ses yeux le somme va glissant. Puis je voudrais en taureau blanchissant Me transformer pour sur mon dos la prendre, Quand en avril par l’herbe la plus tendre Elle va, fleur mille fleurs ravissant. Je voudrais bien pour alléger ma peine, Être un Narcisse et elle une fontaine, Pour m’y plonger une nuit à séjour ; Et si voudrais que cette nuit encore Fut éternelle, et que jamais l’Aurore Pour m’éveiller ne rallumât le jour.Les Amours de Cassandre (1552) Comme un Chevreuil quand le printemps détruitComme un Chevreuil, quand le printemps détruit L’oiseux cristal de la morne gelée, Pour mieux brouter l’herbette emmiellée Hors de son bois avec l’Aube s’enfuit, Et seul, et sûr, loin de chien et de bruit, Or’ sur un mont, or’ dans une vallée, Or’ près d’une onde à l’écart recelée, Libre folâtre où son pied le conduit : De rets ni d’arc sa liberté n’a crainte, Sinon alors que sa vie est atteinte, D’un trait meurtrier empourpré de son sang : Ainsi j’allais sans espoir de dommage, Le jour qu’un œil sur l’avril de mon âge Tira d’un coup mille traits dans mon flanc.Les Amours de Cassandre (1552) De ses cheveux la roussoyante AuroreDe ses cheveux la roussoyante Aurore Éparsement les Indes remplissait, Et jà le ciel à longs traits rougissait De maint émail qui le matin décore, Quand elle vit la Nymphe que j’adore Tresser son chef, dont l’or, qui jaunissait, Le crêpe honneur du sien éblouissait, Voire elle-même et tout le ciel encore. Lors ses cheveux vergogneuse arracha, Si qu’en pleurant sa face elle cacha, Tant la beauté des beautés lui ennuie : Et ses soupirs parmi l’air se suivants, Trois jours entiers enfantèrent des vents, Sa honte un feu, et ses yeux une pluie.Les Amours de Cassandre (1552) Voici le bois, que ma sainte AngeletteVoici le bois, que ma sainte Angelette Sus le printemps anime de son chant. Voici les fleurs que son pied va marchant, Lors que pensive elle s’ébat seulette. Io voici la prée verdelette, Qui prend vigueur de sa main la touchant, Quand pas à pas pillarde va cherchant Le bel émail de l’herbe nouvelette. Ici chanter, là pleurer je la vis, Ici sourire, et là je fus ravi De ses beaux yeux par lesquels je dévie : Ici s’asseoir, là je la vis danser : Sus le métier d’un si vague penser Amour ourdit les trames de ma vie.Les Amours de Cassandre (1552) Prends cette rosePrends cette rose, aimable comme toi Qui sers de rose aux roses les plus belles, Qui sert de fleur aux fleurs les plus nouvelles, Dont la senteur me ravit tout de moi. Prends cette rose, et ensemble reçois Dedans ton sein mon cœur qui n’a point d’ailes, Il est constant, et cent plaies cruelles N’ont empêché qu’il ne gardât sa foi. La rose et moi différons d’une chose Un soleil voit naître et mourir la rose, Mille soleils ont vu naître m’amour. Ah ! je voudrais que telle amour éclose Dedans mon cœur qui jamais ne repose, Comme une fleur, ne m’eût duré qu’un jour. Ode à CassandreEn vous donnant ce pourtraict mien Dame, je ne vous donne rien Car tout le bien qui estoit nostre Amour dès le jour le fit vostre Que vous me fistes prisonnier, Mais tout ainsi qu'un jardinier Envoye des presens au maistre De son jardin loüé, pour estre Toujours la grace desservant De l'heritier, qu'il va servant Ainsi tous mes presens j'adresse A vous Cassandre ma maistresse, Corne à mon tout, et maintenant Mon portrait je vous vois donnant : Car la chose est bien raisonnable Que la peinture ressemblable, Au cors qui languist en souci Pour vostre amour, soit vostre aussi. Mais voyez come elle me semble Pensive, triste et pasle ensemble, Portraite de mesme couleur Qu'amour a portrait son seigneur. Que pleust à Dieu que la Nature M'eust fait au coeur une ouverture, Afin que vous eussiez pouvoir De me cognoistre et de me voir ! Car ce n'est rien de voir, Maistresse, La face qui est tromperesse, Et le front bien souvent moqueur, C'est le tout que de voir le coeur. Vous voyriés du mien la constance, La foi, l'amour, l'obeissance, Et les voyant, peut estre aussi Qu'auriés de lui quelque merci, Et des angoisses qu'il endure : Voire quand vous seriés plus dure Que les rochers Caucaseans Ou les cruels flos Aegeans Qui sourds n'entendent les prieres Des pauvres barques marinieres.Les meslanges (1555) Pour CassandreQuand au temple nous serons Agenouillez, nous ferons Les dévots selon la guise De ceux qui, pour louer Dieu, Humbles se courbent au lieu Le plus secret de l'Eglise. Mais quand au lict nous serons Entrelassez, nous ferons Les lassifs selon les guises Des amans qui librement Pratiquent folastrement Dans les draps cent mignardises. Pourquoy donque, quand je veux Ou mordre tes beaux cheveux, Ou baiser ta bouche aimée, Ou toucher à ton beau sein, Contrefais-tu la nonnain Dedans un cloistre enfermées? Pour qui gardes-tu tes yeux Et ton sein délicieux, Ton front, ta lèvre jumelle? En veux-tu baiser Pluton Là-bas, après que Charron T'aura mise en sa nacelle? Après ton dernier trespas, Gresle, tu n'auras là-bas Qu'une bouchette blesmie: Et quand mort je te verrois, Aux ombres je n'avouerois Que jadis tu fus m'amie. Ton test n'aura plus de peau, Ny ton visage si beau N'aura veines ny artères: Tu n'auras plus que les dents, Telles qu'on les voit dedans Les testes des cimeteres. Donque, tandis que tu vis, Change, maistresse, d'avis, Et ne m'épargne ta bouche: Incontinent tu mourras, Lors tu te repentiras De m'avoir esté farouche. Ah! Je meurs! Ah! Baise-moy! Ah! Maistresse, approche-toy! Tu fuis comme un fan qui tremble: Au moins souffre que ma main S'esbate un peu dans ton sein, Ou plus bas, si bon te semble.Les meslanges (1555) Ode à la fièvreAh fievreuse maladie, Coment es-tu si hardie D'assaillir mon pauvre cors Qu'amour dedans et dehors De nuit et de jour m'enflame, Jusques au profond de l'ame ; Et sans pitié prend à jeu De le mettre tout en feu : Ne crains-tu point vieille blême Qu'il ne te brule toimême ? Mais que cerches-tu chés moi ? Sonde moi partout, et voi Que je ne suis plus au nombre Des vivans, mais bien un ombre De ceus qu'amour et la mort Ont conduit delà le port Compagnons des troupes vaines Je n'ay plus ni sang, ni venes, Ni flanc, ni poumons, ni coeur, Long tems a que la rigueur De ma trop fiere Cassandre Me les a tournés en cendre. Donq, si tu veux m'offencer, Il te faut aller blesser Le tendre cors de m'amie, Car en elle gist ma vie, Et non en moi, qui mort suis, Et qui sans ame ne puis Sentir chose qu'on me face, Non plus qu'une froide mace De rocher, ou de metal, Qui ne sent ne bien ne mal.Les meslanges (1555) Odelette à l'ArondelleTai toi babillarde Arondelle, Par Dieu je plumerai ton aile Si je t'empongne, ou d'un couteau Je te couperai ta languette, Qui matin sans repos caquette Et m'estourdit tout le cerveau. Je te preste ma cheminée Pour chanter toute la journée, De soir, de nuit, quand tu voudras : Mais au matin ne me reveille, Et ne m'oste quand je sommeille Ma Cassandre d'entre mes bras.Les meslanges (1555) Quand à longs traits je boy...Quand à longs traits je boy l'amoureuse etincelle Qui sort de tes beaux yeux, les miens sont esblouïs. D'esprit ny de raison troublé je ne jouïs, Et comme yvre d'amour tout le corps me chancelle. Le coeur me bat au sein, ma chaleur naturelle Se refroidit de peur, mes sens esvanouïs Se perdent tout en l'air, tant tu te resjouïs D'acquerir par ma mort le surnom de cruelle. Tes regards foudroyans me percent de leurs rais' La peau, le corps, le coeur, comme pointes de trais Que je sens dedans l'ame, et quand je me veux plaindre, Ou demander mercy du mal que je reçois, Si bien ta cruauté me reserre la vois, Que je n'ose parler, tant tes yeux me font craindre. Si je trépasse entre tes bras, MadameSi je trépasse entre tes bras, Madame, Il me suffit, car je ne veux avoir Plus grand honneur, sinon que de me voir En te baisant, dans ton sein rendre l'âme. Celui que Mars horriblement enflamme Aille à la guerre, et manque de pouvoir, Et jeune d'ans, s'ébatte à recevoir En sa poitrine une Espagnole lame ; Mais moi, plus froid, je ne requiers, sinon Après cent ans, sans gloire, et sans renom, Mourir oisif en ton giron, Cassandre. Car je me trompe, ou c'est plus de bonheur, Mourir ainsi, que d'avoir tout l'honneur, Pour vivre peu, d'un guerrier Alexandre.Premier livre des Amours Mignonne, allons voir si la roseA CassandreLes Odes |