CHRONIQUE
RELIGIEUSE
AMÉRIQUE. -- Montagnes-Rocheuses. -- Le Cincinnati
Catholic Telegraph, du
29 juillet 1868, contient un important article, qui réjouira en même temps les
amis de la religion et de la Belgique. Le voici, traduit de l'anglais.
« Les
membres de la commission chargée de négocier la paix avec les Indiens et le
révérend Père P. J. De Smet. -- Nos lecteurs
trouveront plus loin une lettre très intéressante datée du fort Rice, territoire de Dacotah. --
Nous en sommes redevables à un officier distingué de l'armée des États-Unis.
Tout le monde s'unira aux louanges qu'il donne à l'intrépide « Robe
noire, » ainsi qu'au témoignage que
les commissaires de paix lui adressent en reconnaissance des grands services
qu'il leur a rendus. »
Adresse des
officiers de l'armée des États-Unis chargés de conclure la paix avec les
Indiens, au révérend Père P. J. De Smet, S. J. --
Lettre intéressante adressée par un officier distingué de l'armée à S. E. Mgr.
l'archevêque Purcell, etc.
« Fort
Rice, territoire de Dacotah,
le 5 juillet 1868.
» Au révérend Père
P. J. Desmet, S. J.
» Révérend Père.
Nous soussignés, membres de la commission chargée de conclure la paix avec les
Indiens, avons été présents il l'assemblée récemment tenue à ce fort, et
désirons vivement vous exprimer notre haute appréciation des services importants
que vous nous avez rendus, ainsi qu'au pays, par votre dévouement incessant et
vos efforts couronnés de succès, pour amener les Indiens à s'aboucher avec nous
et entrer en négociation avec le gouvernement. Nous sommes persuadés que nous
ne devons les résultats que nous avons obtenus qu'à votre long et pénible
voyage jusqu'au cœur du pays ennemi, et à l'influence que vos travaux
apostoliques vous ont donnée sur les tribus les plus hostiles.
» Nous n'ignorons
pas, révérend Père, que nos remerciments n'ont que
peu de valeur à vos yeux, et que la conviction d'avoir beaucoup travaillé à
établir la paix sur la terre et la concorde parmi les hommes, est votre plus
belle récompense. Cependant, nous répondrions mal à nos sentiments intimes si
nous omettions de vous exprimer combien nous sentons vivement les obligations
que nous avons contractées envers vous.
» Nous sommes,
révérend Père, avec les sentiments du plus profond respect, vos très obéissants
serviteurs.
» (Signé) Général W. S. HARVEY, commissaire de paix. -- J.-B. SANBORN, commissaire de
paix. -- Général ALFRED H. TERRY,
commissaire de paix. »
« Fort
Sully, territoire de Dacotah, le 12 juillet 1868.
» A S. E. Mgr. l'archevêque Purcell.
» Monseigneur, je
vous envoie ci-inclus un témoignage que la commission de paix, établie
dernièrement au fort Rice, a donné à notre bien aimé
Père missionnaire P. J. De Smet.
» Vous êtes
probablement au courant des travaux de la commission pendant l'année dernière.
Au mois de mai de la présente année, les commissaires réussirent à réunir au
fort Laramée, sur la rivière La Platte, un certain
nombre de chefs appartenant aux tribus les plus redoutables et les plus
belliqueuses. Cependant les Umpkapagas persistaient à
ne vouloir entrer dans aucun arrangement avec les Blancs, et il va sans dire
que tout traité avec les Sioux devenait impossible, si cette grande et hostile
tribu refusait d'y concourir. Dans cette conjoncture, le révérend Père De Smet, qui a consacré une vie laborieuse au service de la
vraie religion et de l'humanité, offrit lui-même, malgré son grand âge, de
tâcher de pénétrer dans les camps hostiles et d'user de son influence sur les
chefs, pour les amener à se présenter devant la commission au fort Rice. Ainsi que vous l'apprendra la lettre des membres de
la commission, on a lieu de croire que sa mission a eu un plein succès.
» Je ne pourrais
vous donner qu'une idée imparfaite des privations et des dangers de ce voyage,
à moins que vous ne connaissiez les grandes plaines de ces contrées et le
caractère de l'Indien, naturellement porté à la vengeance. Seul de tous les
Blancs, le Père Desmet pouvait pénétrer chez ces
cruels sauvages et en revenir sain et sauf. Un des chefs, lui adressant la
parole pendant qu'il se trouvait au camp ennemi, lui dit : « Si c'eût été
tout autre homme que vous, Robe noire, ce jour eût été son dernier. »
» Le révérend
Père avait avec lui, en qualité d'interprète, M. Galpin,
qui a épousé une Indienne de la tribu des Umpkapagas.
Cette dame, qui est bonne catholique, est une excellente personne et un exemple
frappant de ce que peut, pour le bonheur de l'Indien, l'influence de la
religion et de la civilisation. En quittant le fort Rice,
le Père De Smet avait à se diriger en droite ligne
vers l'ouest. L'ennemi avait assis son camp un peu au-dessus de l'embouchure de
la rivière de la Roche jaune, près de la rivière à la Poudre. La distance à
parcourir, aller et revenir, était de 700 milles. Le pays est un désert
stérile. On n'y voit, en fait de végétation, que l'absinthe, l'artemisia des plaines. On n'y trouve pas de buffles,
excepté sur les bords de la Roche jaune, où ils sont très nombreux.
» Le révérend
Père est connu parmi les Indiens sous le nom de Robe noire et de l'Homme
de la grande médecine ¹. Lorsqu'il est avec eux, il porte toujours la
soutane et le crucifix. Il est le seul homme auquel j'ai vu les Indiens
témoigner une affection véritable. Ils disent, dans leur langage simple et
ouvert, qu'il est le seul Blanc qui n'a pas la langue fourchue, c'est-à-dire,
qui ne raconte jamais de mensonges. L'accueil qu'ils lui firent au camp ennemi
fut enthousiaste et magnifique. Ils firent 20 milles pour venir au-devant de
lui, et les principaux chefs, à cheval à ses côtés, le conduisirent au camp en
grand triomphe. Ce camp comprenait plus de 500 loges, lesquelles, à raison de
six personnes par loge, donnaient un total de 3,000 Indiens. Pendant sa visite,
qui fut de trois jours, les principaux chefs, la Lune noire et le Taureau
assis, qui, durant les quatre dernières années de la guerre, avaient été de
redoutables adversaires pour les Blancs, veillèrent constamment à la sûreté du
missionnaire, dormant la nuit à ses côtés, de crainte que quelque Indien ne
voulût venger sur sa personne la mort d'un parent tué par les Blancs. Pendant
le jour, des multitudes d'enfants affluaient vers sa loge, et les mères lui
portaient leurs nouveau-nés pour qu'il daignât leur imposer les mains et les
bénir.
¹ Les Indiens appliquent le nom de médecine aux
choses religieuses et, en général, à tout ce qui dépasse la portée de
intelligence.
» Dans
l'assemblée des Indiens, les grands chefs promirent de mettre un terme à la
guerre. Le Taureau assis déclara qu'il avait été le plus mortel ennemi
des Blancs, et qu'il les avait combattus par tous les moyens en son pouvoir;
mais, maintenant que la Robe noire était venue prononcer des paroles de paix,
il renonçait à la guerre et ne lèverait plus jamais la main contre les Blancs.
Les chefs, déléguèrent plusieurs de leurs principaux guerriers qui, en compagnie
du Père De Smet, arrivèrent au fort Rice le 30 juin.
» L'arrivée du
révérend Père, avec la délégation indienne, donna lieu à de grandes
réjouissances au milieu des tribus amies rassemblées au fort. Elles l'y
escortèrent en grande cérémonie. Les guerriers formaient une longue ligne et
marchaient avec une précision toute militaire. C'était un spectacle vraiment
remarquable, quoique peu en rapport avec les goûts du bon Père, qui n'aime pas
le bruit des trompettes et l'éclat des parades.
» Depuis
cinquante ans, peut-être, on n'avait vu, dans notre pays, une assemblée aussi
nombreuse que celle qui se trouvait réunie au fort Rice.
Les intérêts qu'on y devait discuter étaient bien au delà de ce que nos amis
peuvent se figurer. Les premiers chefs, ou, représentants de neuf bandes de la
nation des Sioux, y étaient présents, Je ne crois pas nécessaire de mentionner
les noms baroques de ces différentes bandes qui, du reste, vous sont pour la
plupart inconnues; qu'il me suffise de vous dire que les tribus représentées à
l'assemblée couvrent de leurs habitations une étendue de territoire égalant en
superficie six fois celle de l'Ohio; et quiconque est au courant de la question
indienne, n'ignore pas que la paix avec les Indiens est nulle si elle ne
comprend les Sioux qui, de toutes les tribus avec lesquelles nous avons eu à
traiter jusqu'à ce jour, est la plus nombreuse ¹, la plus belliqueuse et aussi
celle qui a eu le plus à se plaindre des Blancs. Le traité qui a été signé par
tous les principaux chefs n'attend plus que la sanction du Sénat pour passer à
l'état de loi ².
¹ Les Sioux, au nombre d'environ 80,000, sont
divisés en différentes tribus,
² Le Sénat a dernièrement confirmé ce
traité.
» Je suis
persuadé qu'il est le plus complet et le plus sage de tous les traités conclus
jusqu'ici avec les Indiens dans ce pays. Sans entrer dans des particularités,
d'après les clauses de ce traité, les Indiens seront abondamment pourvus de
vivres, d'habillements, d'instruments aratoires et mécaniques. On n'y a stipulé
aucune compensation pécuniaire, l'argent excitant malheureusement la convoitise
de plus d'un et convertissant souvent les commissaires, gouverneurs de
territoire, surintendants, agents et marchands en une bande de voleurs. Il est
hors de doute que l'exécution des clauses de ce traité assurera la paix avec
les Sioux. On comprendra l'importance de ce résultat, si l'on considère qu'un
général distingué constatait, l'automne dernier, que la guerre entreprise dans
le but d'exterminer les Indiens des plaines (et il croyait qu'il fallait en
venir à cette extrémité) coûterait au pays 500 millions de dollars. Je dirai en
passant que ce moyen de pacification me paraît un peu violent. Le même général,
lors de la rébellion, dit qu'il ne fallait pas moins de 200,000 hommes pour
ramener à leurs devoirs le Kentucky et le Tennessee; sa parole parut alors
insensée; la suite des événements en a fait juger autrement.
» Mais il est
temps de terminer cette longue lettre. Quel que soit le résultat final du
traité que la commission vient de conclure avec les Sioux, nous ne pourrons
jamais oublier et nous ne cesserons jamais d'admirer le dévouement désintéressé
du révérend Père De Smet qui, âgé de soixante-huit
ans, n'a pas hésité, au milieu des chaleurs de l'été, à entreprendre un long et
périlleux voyage, à travers des plaines brûlantes, dépourvues d'arbres et même
de gazon; ne rencontrant que de l'eau corrompue et malsaine, sans cesse exposé
à être scalpé par les Indiens, et cela sans rechercher ni honneurs, ni
rétribution d'aucune sorte; mais uniquement pour arrêter l'effusion du sang et
pour sauver, s'il y avait moyen, quelques existences, conserver quelques
habitations à ces sauvages enfants du désert, au bien spirituel et temporel
desquels il a consacré une longue existence de labeurs et de sollicitudes. Le
grand chef des Yanctonnais, les Deux Ours ¹
dit dans son discours : « Quand nous nous établirons pour semer le grain,
élever le bétail et habiter des maisons, nous voulons que le Père De Sment vienne demeurer avec nous, qu'il nous amène d'autres
Robes noires pour vivre aussi parmi nous; nous écouterons leurs paroles, et le
Grand-Esprit nous aimera et nous bénira. »
« (Signé)
D. S. STANLEY,
général-major de l'armée des États-Unis. »
¹ Ce chef est à la tête de 700 loges, comprenant
environ 6,000 Indiens.